Mercredi 11 janvier 1520
Embouchure du Río de la Plata (Frontière Argentino-Uruguayenne)
Après un passage devant la Bahía de Paranaguà, sur la côte brésilienne (31/12/1519) et devant le Cabo Santa María, sur la côte uruguayenne (10/01/1520), la flotte arrive au Río de Solís, aujourd’hui Río de la Plata.
Ils voient une montagne « faite comme un chapeau », et qu’ils nomment « Monte Vidi ». [1] C’est sur la rive opposée de la baie que naîtra la ville de San Felipe y Santiago de Montevideo, capitale de l’Uruguay).

Si certaines sources parlent de premières explorations portugaises vers 1512-1513 [2] , voire d’une découverte par Amerigo Vespucci dès 1501 (le Florentin aurait participé à une expédition menée par Gonçalo Coelho et aurait nommé l’endroit Río Jordán) [3], l’estuaire fut de manière certaine exploré en 1516 par celui dont il porta le nom par la suite, le navigateur et explorateur espagnol Juan Díaz de Solís.
L’expédition, composée de 3 navires et 70 marins, avait quitté Sanlucar de Barrameda le 8 octobre 1515, pour atteindre le Río de la Plata en février 1516 ; l’endroit fut nommé Mar Dulce, la « mer douce », car il s’agissait d’une immense étendue d’eau douce. [4] À bord de l’un des navires, Solís s’engagea dans l’estuaire pour remonter jusqu’au confluent des fleuves Paraná et Uruguay, et fit escale sur l’île Martín García (nommée ainsi en l’honneur de son cambusier (despensero), mort peu de temps avant et enterré sur l’île). De là, il aperçut des autochtones sur la rive uruguayenne et décida d’y débarquer en compagnie de deux officiers et sept marins, pour explorer les terres en vue d’une possible colonisation (dans la région de l’actuel Colonia). Ils furent alors attaqués par la tribu locale (des Charrúas ou des Guaranis suivant les sources) [5] et seul Fernando del Puerto, un mousse de 14 ans, aurait survécu et été fait prisonnier [6] ; les autres furent tués (et, selon certains récits, dévorés, ce qui est sujet à caution car les Charruas ne sont pas anthropophages, contrairement aux Guaranis). [7]
Ce fut Francisco de Torres (beau-frère de Solís) qui reprit le commandement de la flotte et la ramena à Séville le 4 septembre 1516 (l’un des navires ayant, entre temps, coulé au large du Brésil). La Mar Dulce fut renommée Río de Solís en l’honneur de l’explorateur.
Les marins de Magellan savaient parfaitement ce qui était arrivé à l’expédition de Solís, la nouvelle étant parvenue à Séville environ trois ans avant leur départ.

L’armada va rester sur place durant presque un mois afin de reconnaître les lieux. [8]
À l’époque, personne n’est allé plus au sud que Solís. Et bien que l’eau soit douce dans la zone du río (ce qui indique qu’ils ne sont pas à l’extrémité du continent), Magellan décide tout de même d’explorer l’estuaire plus en amont afin d’être sûr qu’un passage vers l’ouest n’existe pas.
Cette décision conforte probablement ses détracteurs dans l’idée que le Portugais ne sait pas où il va. Ce qui n’est pas complètement faux.
Certes, il ne fait aucun doute qu’un passage vers l’ouest existe : Vasco Núñez de Balboa, lors d’une expédition dans la région du Darién (sud de l’actuel Panama [9] ), a aperçu l’océan Pacifique le 25 septembre 1513.
Mais les documents sur lesquels se base Fernão de Magalhães pour situer ledit passage sont erronés.
Une carte de l’explorateur allemand Martin Behaim et un globe du cartographe Johann Schöner placent le passage au Sud à une latitude erronée. [10] Tous deux se seraient basés sur un courrier, rédigé par un obscur commissionnaire allemand en poste au Portugal et destiné aux Welser, une riche famille de commerçants d’Augsbourg. Le courrier relate les dires de marins portugais qui, aux alentours du 40e parallèle, pensaient avoir découvert une nouvelle voie d’accès vers l’ouest, mais dans laquelle ils ne se sont pas engagés. À cette latitude, il s’agit ni plus ni moins que de l’embouchure du Río de la Plata, le détroit de Magellan se situant à un peu plus de 53° S. Selon Zweig, le globe de Schöner date de 1515 [11] et pourrait avoir donc bénéficié des informations des explorateurs portugais de 1512-1513 ; mais Behaim est lui mort en 1507, et devrait de fait s’être basé sur les informations de Coelho et Vespucci. [12]
Dès le jeudi 12 janvier, le Santiago, plus petit navire de la flotte commandé par João Serrão, s’engage dans les terres, sur 25 lieues (ou 50 suivant les sources). [13]
Pendant ce temps, le San Antonio et la Trinidad se dirigent vers le sud, en quête de l’autre rive (ils ignorent probablement où elle se trouve). Ils mettent deux jours pour atteindre la berge/le rivage sud (entre Montevideo (URU) et Punta Indio (ARG), la distance est d’environ 100 km), où ils chargent du bois et de l’eau tout en explorant les criques. À cause de vents contraires, le trajet retour leur prend quatre jours, et ils aperçoivent de nouveau le Monte Vidi le jeudi 2 février 1520. [14]
Pigafetta mentionne aussi que lors d’un accostage, ils aperçoivent des indigènes. Si l’un d’eux, de particulièrement forte stature, serait monté à bord (ou demeuré sur le rivage), les autres s’enfuient à l’intérieur des terres avec leurs biens. Ils tentent d’en capturer (« pour leur parler et les voir de près »), mais ne parviennent pas à les rattraper. [15]
Durant le séjour, deux marins sont morts : Guilherme Afonso Vaz, de noyade (25/01/1520) et Sebastian de Olarte, tué lors d’une rixe entre marins (03/02/1520).
Le départ s’effectue vraisemblablement le vendredi 3 février, même si cette date varie suivant les sources.
Francisco Albo parle très clairement du vendredi 3. [16]
José Maria de Queirós Veloso penche aussi pour le vendredi 3, sans expliquer pourquoi, tout en indiquant que le Routier du Pilote Génois (Roteiro del pilota genovese, attribué à Leone Pancaldo ou Giovanni Battista da Ponzoroni), mentionne lui le jeudi 2. [17]
Kronobase indique même un départ le mardi 7 février, ce qui, de prime abord, semble peu probable.
En réalité, la flotte va naviguer plusieurs jours encore pour sortir du Río de Solís, l’estuaire mesurant près de 220 km à son embouchure, et ne va donc réellement le quitter que vers le 7 février en soirée ou le 8 en matinée.
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[1] Le Monte Vidi est vraisemblablement le Cerro, une simple colline culminant à 132, 134 ou 136 mètres suivant les sources, et surplombée d’un fort et d’un phare construits au début du XIXe siècle.
Bernal, Derrotero de Francisco Albo (2015), p.4
Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.471
[2] Via Wikipedia (EN) :
– Viana, História do Brasil: período colonial, monarquia e república (1994), p.254
– Bethell, Colonial Brazil (1987), p.64
[3] La Nación (2001). La Nación est l’un des deux principaux journaux argentins, avec Clarín.
La présence de Vespucci au sein de cette expédition est sujette à caution et encore débattue aujourd’hui. D’autant que Coelho retourne au Brésil en 1503-1504, a priori avec Vespucci, mais ils s’arrêtent au niveau de la Baía de Todos los Santos (Salvador de Bahia, 12° S).
[4] Via Wikipedia (EN) :
– Encyclopædia Britannica (2010)
[5] Édouard Charton indique lui précisément la tribu des Querandis, apparentée aux Charruas et armée de terribles frondes nommées bolas par les explorateurs espagnols.
Charton, Voyageurs anciens et modernes – Tome III – Fernand de Magellan, voyageur portugais (1863), p.279 note 2
[6] Le mousse aurait été retrouvé aux alentours de 1526-1530 par l’expédition de Sebastiano Caboto et ramené en Espagne. Il repartit plus tard pour l’Amérique du sud, sans que l’on ne sache ce qu’il devint.
À noter que lors du trajet aller, Caboto fit face à une mutinerie et abandonna trois hommes sur l’île de Santa Catarina, le long de la côté brésilienne, où ils moururent probablement : Francisco de Rojas (l’un de ses capitaines), Martin Méndez (son second), et Miguel de Rodas (un pilote). Ironie du sort, les deux derniers étaient des survivants de l’expédition de Magellan.
– via Wikipedia (EN) : Dalton, Merchants and Explorers: Roger Barlow, Sebastian Cabot, & Networks of Atlantic Exchange 1500-1560 ( 2016), p.118-119& p.124-125
[7] Voir notamment : Charton, Voyageurs anciens et modernes – Tome III – Fernand de Magellan, voyageur portugais (1863), p.279 note 1
[8] Bernal, Sucesos desafortunados de la Expedición (2015), p.4
Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.471
[9] La monnaie du Panama est d’ailleurs le balboa et un district de la capitale porte également ce nom.
[10] Zweig, Magellan (1938), p.76-78
[11] Une carte du même auteur, datée de 1520 (donc en pleine expédition Magellan), montre également le passage vers l’ouest à une latitude d’environ 40° S.
[12] Selon certaines sources, l’expédition de 1501, serait descendue jusqu’à 52° S, au niveau de la Patagonie et presque du détroit de Magellan, avant de faire demi-tour à cause des conditions inhospitalières. Mais il est étonnant qu’aucune carte de l’époque ne l’ait mentionné. D’où de sérieux doutes à ce sujet.
Via Wikipedia (EN) :
– O’Gorman, The Invention of America (1961), p.106–107
[13] Soit environ 148 km ou 80 milles nautiques (295 km ou 159, si 50 lieues). Sachant que dans ses délimitations actuelles, le Río de la Plata mesure 290 km de long.
Francisco Albo indique 25 lieues, sans préciser si cette distance n’est parcourue que dans l’estuaire ou aussi dans le fleuve. José Maria de Queirós Veloso parle de 25 lieues, tout en précisant que de Brito, dans sa lettre à son souverain Jean III, mentionne 50 lieues.
Bernal, Derrotero de Francisco Albo (2015), p.5
Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.471
[14] Bernal, Derrotero de Francisco Albo (2015), p.5
Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.471
[15] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.19, Peillard p.108, Charton p.279)
Verne, Les grands voyages et les grands voyageurs. Découverte de la terre – Chapitre II : Premier voyage autour du monde (1878), p.305
[16] Bernal, Derroterro de Francisco Albo (2015), p.5 – En revenant de la rive sud du rio, ils aperçoivent le Monte Vidi le 2 février, puis repartent le 3 : « hasta que vinimos en vista de Monte Vidi, yesto fue a 2 días del mes de febrero, día de Nuestra Señora de La Candelaria, y a la nochesurgimos a 5 leguas del monte y nos quedaba al Sureste 4ª del Este, y después, a la mañana, a 3 deldicho, nos hicimos a la vela la vuelta del Sur ».
[17] Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.471