Désertions à Maug

 

* Trinidad *
Fin août 1522
Mariannes du Nord

Après avoir fait demi-tour, la Trinidad a retrouvé des vents favorables et file en suivant un cap SW. Il lui faut moins de deux semaines pour revenir dans les parages de « Cyco ». Ils arrivent à la nuit tombée et préfèrent attendre le matin pour aborder l’île.
Mais le lendemain, il se révèle impossible d’atteindre la côte.
L’homme qu’ils ont embarqué à l’aller leur dit de continuer leur chemin en direction d’un groupe de trois îles, nommé « Mao » (ou « Pamo »), où ils pourront facilement accoster. Sur place, ils trouvent néanmoins des hauts-fonds et s’ancrent au milieu de l’archipel, où la profondeur est de « 15 brasses » (soit un peu moins de 30 mètres). [1]

Ce groupe de trois îles est très vraisemblablement Maug (20,03°N). On ignore sur laquelle exactement les Espagnols mirent pied.

Mariannes - Maug - vue satellite
Vue satellite de Maug (Mariannes)

 

L’identité de l’autre île demeure par contre incertaine, car les différents récits sont assez flous.
Lors du trajet aller, la Trinidad a abordé une île que le pilote génois (Leone Pancaldo ou Giovanni Battista da Ponzoroni) a nommé « Cyco », et où un autochtone fut embarqué. Cette île est située dans la plupart des documents par 20°N, sauf chez le pilote génois qui la place par 19°N. Deux îles de l’archipel des Mariannes sont candidates : Asunción (19,69°N) et Farallón de Pájaros (20,54°N).
Sur le retour, la Trinidad aborde une île que ce même pilote génois nomme « Quamgragam » ou « Magregua ». [2] Il précise néanmoins que c’est sur cette île qu’ils ont embarqué l’indigène ; il s’agit donc de « Cyco ». Mais pourquoi la nomme-t-il différemment ?
L’historien espagnol Tomás Mazón Serrano estime que, compte tenu des divers éléments, « Cyco » est sans doute possible Farallón de Pájaros, située à environ 70 km (38 NM) au nord-ouest de Maug. [3]
Mais la réponse n’est pas si évidente.
Le pilote génois ne dit pas où se situe « Mao » (Maug) par rapporte à « Cyco » ; par contre, il place « Cyco » à 19°N (fully nineteen degrees) et « Mao » à plus ou moins 20°N (twenty degrees more or less), ce qui tendrait à montrer que « Mao » est au nord de « Cyco ». [4] Et donc que « Cyco » est l’île Asunción, située à 40 km (22 NM) au sud-sud-sud-est de Maug.
Cependant, le fait que le pilote génois nomme de deux manières différentes cette île, sans que l’on comprenne pourquoi, rend son récit déconcertant. Et les différents éléments ne permettent pas de trancher la question de manière définitive.

 

Maug compte une vingtaine d’habitants. [5]
L’équipage avitaille en eau de pluie, car l’île ne dispose pas de source d’eau douce. L’autochtone qu’ils avaient embarqué à l’aller profite de l’escale pour s’enfuir. [6]

Trois marins choisissent également de déserter : Alonso González de Guarda (cambusier),  Martìn Forte, dit « Martín Genovés » (matelot) et Gonzalo Álvarez, dit « Gonzalo de Vigo » (mousse). [7]
La raison de cette fuite n’est pas précisée, mais on peut estimer que, compte tenu des souffrances déjà endurées et des maladies dont est victime l’équipage, ceux-ci ont estimé qu’ils avaient plus de chances de survie en restant aux Mariannes.
Les deux premiers vont être tués dans une rixe avec les indigènes, peu de temps après. Gonzalo de Vigo sera lui retrouvé en septembre 1526 par un navire de l’expédition de Loaísa, parfaitement intégré à la population locale. [8]

 

 

* Trinidad *
Septembre 1522
Mariannes du Nord

Après l’arrêt d’une durée inconnue à Maug, la Trinidad repart en direction des Moluques.

La caraque suit l’archipel des Mariannes, découvrant de nombreuses îles située entre 20 et 10°N, qu’ils vont nommer « Hora » (probablement Agrihan – 18,78°N), « Maho » (Pagan – 18,12°N), « Chenchón » (Alamagan – 17,60°N), « Grega » (Gugan – 17,31°N), « Aramagán » (Sarigan – 16,70°N), « Anatán » (Anatahan – 16,35°N), « Baham » (Farallón de Medinilla – 16,02°N), « Guguán » (l’îlot Aguiguan – 14,85°N), « Saepán » (Saipan – 15,18°N), « Charega » (Tinian – 15,00°N) et « Derota » (Rota – 14,15°N). [9]
Il semble qu’au moins un arrêt ait été marqué dans l’une des îles. Gonzalo Gómez de Espinosa, le capitaine de la Trinidad, rapporte que les habitants de ces îles sont nus et que leur peau a la même couleur que celle des habitants des Indes. Il tente sans succès de communiquer avec eux, et ne peut donc s’informer de ce que recèlent ces îles. [10]
Pour Tomás Mazón Serrano, l’équipage ne peut pas ravitailler (ce qui explique pourquoi les marins vont continuer de mourir tout au long des mois de septembre) ; il estime que, étant déjà affaiblis par les maladies, ils auraient voulu éviter toute confrontation avec les autochtones.

À 40 milles nautiques (~74 km) au SSW de Rota se trouve Guam, la dernière île de l’archipel. Une terre que la Trinidad a déjà visitée le mercredi 6 mars 1521 et nommée « Île des Larrons » (Isla de los Ladrones). [11]

 

Poursuivant son chemin, la Trinidad tombe sur un chapelet de petites îles (huit ou neuf), situé entre 8,5 et 9°N, qu’il nomme Santa Heufemia. [12] Euphémie de Chalcédoine, martyre chrétienne, est célébrée le 16 septembre.
L’historien espagnol Tomás Mazón Serrano (tenant compte de la latitude et de la distance par rapport à « San Juan ») estime qu’il s’agit de l’atoll de Ngulu, constitué de neuf îles, et situé dans l’archipel des Carolines.

 

Il semble que le nombre de morts qui vont se succéder (vingt-trois entre le 16 septembre et le 31 octobre) vont rendre toujours plus difficile la bonne marche du navire, et considérablement ralentir sa progression. [13]

Ainsi, ce n’est que début novembre 1522, avec seulement six hommes en état de manœuvrer, que la Trinidad arrive en vue d’Halmahera, aux Moluques, cette même côte qu’elle avait laissée derrière elle fin avril.

 

 

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[1] Le pilote génois laisse entendre que l’homme les a incités à aller dans cet endroit et car il avait pour objectif de s’enfuir.
Également, il parle juste de « dangers » (they fetched them with some danger), mais on peut estimer que le port indiqué n’était pas si accessible que cela.
Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.28

[2] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.28

[3] Mazón Serrano, La Primera Vuelta al Mundo – Intento de tornaviaje de la Trinidad

[4] La lettre de Ponzoroni et Pancaldo à destination du roi d’Espagne (rédigée lors de leur emprisonnement au Mozambique en 1525) indique également « 20° ».
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.371 note 4

[5] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.28

L’historien belge Jean Denucé parle d’une quarantaine (sans citer de source, et tout en précisant que le Routier du pilote génois indique vingt).
Il précise aussi que la Trinidad parcourt vingt lieues depuis « Cyco » pour atteindre « Pamo » (Maug). Pour rappel, la legua nautica de l’époque valait 5 903 mètres ou 3,1876 milles marins d’aujourd’hui, ce qui sépare les deux îles d’environ 120 km (60 NM). Une distance trop importante.
Les informations concernant cette période sont donc sujettes à caution.
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.370

[6] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.28

Là encore, Jean Denucé se montre prolixe en informations, mais sans se référer à aucune source. Il narre que l’indigène embarqué à l’aller débarqua et revint avec deux insulaires apportant des vivres. Gonzalo Gómez de Espinosa envoya deux hommes en reconnaissance ; ceux-ci ne trouvèrent aucun cours d’eau. Mais Espinosa, descendu à terre, trouva lui un puits d’eau potable au sommet d’une roche.
Sans source, son récit est contradictoire avec celui du pilote génois.
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.370

[7] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.28 : « the black man and three Christians » (manuscrit de Paris)
Mazón Serrano, La Primera Vuelta al Mundo – Intento de tornaviaje de la Trinidad

Selon le chroniqueur espagnol Antonio de Herrera y Tordesillas, quatre hommes s’enfuirent, mais un seul revint finalement à bord, malgré la promesse du capitaine de ne pas les punir.
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.370, citant Herrera, Historia general de los hechos de los Castellanos en las islas y tierra firme del Mar Océano que llaman Indias Occidentales (1601-1615), Decada III, Libro IV, Capitulo II

[8] Pour plus de détails, se reporter à la fiche de Gonzalo Álvarez, dit « Gonzalo de Vigo ».

[9] La lettre de Ponzoroni et Pancaldo à destination du roi d’Espagne (rédigée lors de leur emprisonnement au Mozambique en 1525) indique « 14 islas » ; mais dans un autre courrier, anonyme mais qui leur est attribué, seules 11 sont nommées. Dans sa lettre du 12 janvier 1525, rédigée à Cochin, Espinosa parle de 14 îles.
Mazón Serrano, La Primera Vuelta al Mundo – Intento de tornaviaje de la Trinidad

D’après ce même courrier d’Espinosa, ces îles auraient été visitées durant le trajet aller, puisqu’ils les quittent le jour de la Saint Barnabé (Santa Barnabas), soit le 11 juin. Les textes d’époque souffrent cependant parfois d’informations contradictoires et révèlent constamment des problèmes de chronologie. Comme évoqué dans le précédent billet, la tendance historique s’accorde plutôt sur une arrivée à « Cyco » le 11 juillet, et donc une visite des Mariannes sur le trajet retour ; mais il est impossible de trancher de manière définitive. Pour Mazón Serrano, il n’est pas exclu qu’ils les aient vues à l’aller et au retour.
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.368
Mazón Serrano, La Primera Vuelta al Mundo – Intento de tornaviaje de la Trinidad

[10] Courrier au roi d’Espagne, rédigé à Cochin le 12 janvier 1525.
Mazón Serrano, La Primera Vuelta al Mundo – Intento de tornaviaje de la Trinidad

[11] Selon Ginés de Mafra, on y aurait fait escale courant octobre pour ravitailler en eau. Ceci ne colle pas avec le courrier d’Espinosa, qui laisse entendre une absence d’escale ; la date paraît, elle, tout à fait erronée puisqu’ils ont déjà quitté les Mariannes à la mi-septembre.
Ginés de Mafra précise aussi que c’est là que Gonzalo de Vigo a déserté.
Mais son récit étant postérieur de vingt ans aux évènements, celui-ci n’est pas toujours très fiable.
Mafra, Libro que trata del descubrimiento del Estrecho de Magallanes (1542), XVIII, p.211

[12] Courrier anonyme à l’empereur Charles Quint attribué à Ponzoroni et Pancaldo.
Mazón Serrano, La Primera Vuelta al Mundo – Intento de tornaviaje de la Trinidad

[13] Entre Maug et Ngulu, la Trinidad a parcouru environ 1 800 km (970 NM) en deux semaines (du 31 août au 16 septembre), soit environ 60 milles/jour. Entre Ngulu et Halmahera, elle parcourt environ 1 200 km (650 NM) en un mois et demi (du 16 septembre à début novembre, plus ou moins le 6), soit environ 14 milles/jour.

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