Fin septembre 1521
Quelque part entre Bornéo et Palawan (Philippines)
Après un mois consacré à réparer les deux navires, les marins repartent en quête des îles Moluques, but de l’expédition, mais dont ils ignorent la localisation.
L’armada, à présent commandée par Giovanni Battista da Ponzoroni, quitte le port de Port de Sainte Marie d’Août (Porto de Santa Maria de Agosto) le vendredi 27 septembre 1521. [1]
Partant vers le nord, en direction de l’île de Palawan (où ils ont séjourné en juin), les explorateurs croisent la route d’une jonque en provenance de Brunei. Un signal est envoyé pour lui faire signe d’approcher, mais l’embarcation refuse de coopérer. Elle est alors prise en chasse et capturée. [2]
À bord se trouve Tuan Mahamud, le souverain de Palawan, vassal de celui de Brunei. Son fils de huit ans et son frère l’accompagnent, ainsi qu’une cour d’environ quatre-vingts hommes. [3]
La localisation de cet évènement est difficile à déterminer.
Selon l’historien belge Jean Denucé, il aurait lieu proche de l’endroit où la Trinidad s’était échouée à la mi-août. Ce qui paraît étonnant. Cet endroit est soit proche des îles Mantanani (Pulau Mantanani), mais bien trop au sud par rapport à leur route présumée ; soit proche d’une des petites îles situées au sud de Banggi, mais cela voudrait dire qu’ils ont contourné cette dernière par le sud, ce qui est peu probable dans la mesure où la jonque fait très vraisemblablement la liaison entre Brunei et Palawan et n’a aucune raison de passer par là. [4]
L’historien espagnol Eustaquio Fernández de Navarrete va dans le même sens, et situe cette île Trinidad (nommée d’après le navire amiral) proche du port de Bornéo, sans que l’on ne sache si l’auteur fait référence au lieu où ont été effectuées les réparations ou bien au port de Brunei, sur l’île de Bornéo. [5]
Le Quincentennial Commemorations in the Philippines (QCP) place l’arraisonnage au niveau du Capo de Qella Ysola Pulaoa, à la pointe sud de Palawan. [6]
D’après l’historien philippin Michael Angelo Doblado, de l’université d’état de Palawan (PSU), la flotte se serait arrêtée entre Balabac et Bugsuk, deux îles de l’archipel situé au sud de Palawan ; puis ils auraient migré sur la côte de l’île Palawan, au niveau du barangay de Buliluyan, dans la ville de Bataraza. [7]
Concernant la date, l’évènement semble avoir eu lieu le lundi 30 septembre 1521. [8]
Cependant, que ce soit pour la localisation ou la date, aucun auteur moderne ne mentionne de source d’époque.
Au souverain capturé, il est demandé de prêter allégeance à la Castille, [9] puis on lui propose de recouvrer sa liberté en échange d’une rançon de quatre cents mesures de riz, vingt cochons, vingt chèvres et cent cinquante poules. [10]
Le raja y consent et promet de s’exécuter sous sept jours dans un port voisin. [11]
Un traité de paix est signé entre Philippins et Espagnols, le mardi 1er octobre 1521.
L’historien américain William Henry Scott précise que cette alliance a pu être conclue grâce à l’entremise d’un esclave nommé Pazeculan, capturé sur la jonque du prince de Luzon lors du départ de Brunei, et qui parlait espagnol. [12]
Pour Navarrete et le jésuite espagnol Pablo Pastells y Vila (établi aux Philippines), alors que les Européens présentent un crucifix, les Maures se mettent le doigt dans la bouche puis sur la tête, selon leur tradition. [13]
Lundi 7 octobre 1521
Palawan (Philippines)
C’est probablement au niveau du barangay de Buliluyan, dans la ville de Bataraza, que l’échange s’effectue. [14]
En plus de ce qu’avaient demandé les étrangers, Tuan Mahamud offre également toutes sortes de douceurs locales : noix de coco, bananes, cannes à sucre et vin de palmier. [15]
En échange, les Européens lui rendent une partie de ses poignards et fusils, et font quelques cadeaux au gouverneur, à son fils et son frère, ainsi qu’aux gens qui les accompagnaient (Tuan père reçoit un étendard, un habit de damas jaune et quinze brasses de toile ; Tuan fils, un manteau de drap bleu et Arguantail un habit de drap vert). [16]
Navarrete ajoute qu’on rend au souverain une petite bombarde de bronze (ou peut-être une arquebuse) dont il a besoin contre les sauvages de cette île et des voisines. [17]
Les marins embarquent prestement la marchandise avant de mettre les voiles. [18]
Antonio Pigafetta précise qu’ils se séparent en bons termes (de suerte que nos separamos en buena armonía), [19] et le QCP affirme que Mahamud, son fils et son frère jurent d’entretenir l’amitié philippino-espagnole au nom de Dieu et de la Vierge Marie. [20]
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[1] Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335
[2] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.322)
[3] Le nom du souverain est souvent orthographié « Maamud », mais le Quincentennial Commemorations in the Philippines (QCP), source la plus récente, opte pour « Mahamud ».
Le fils est nommé Tuan Maamud (Scott) ou Tuan Maamad (Pastells) ; le frère est Gantayl (Denucé), Guantail (Scott) ou Arguantail (Pastells)
Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.322)
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335
Pastells, El descubrimiento del estrecho de Magallanes : en conmemoración del IV centenario (1920), VII, p.108
Scott, Looking For The Prehispanic Filipino and Other Essays in Philippine History (1992), p.46-47 et note 18 p.62
[4] Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335
[5] Navarrete, Historia de Juan Sebastián del Cano (1872), p.68 : « Junto á una isla que llamaron de la Trinidad, no lejos del puerto de la de Borneo »
[6] National Quincentennial Committee : Carte interactive
[7] Doblado, The Palawan Landfall of the Magellan-Elcano Voyage in the Philippines (2019) – via Palawan News (26.07.2020)
[8] La date de la prise de la jonque n’est pas clairement définie par Jean Denucé ; il mentionne le 30 septembre comme le moment où « on proposa au roi captif de Puluan de reconnaître la souveraineté de la Castille ». La capture a pu s’effectuer avant le 30, mais il serait étonnant que les Européens aient attendu plusieurs jours avant d’entamer les négociations.
Le QCP valide également la date du 30 septembre pour la capture, et celle du 1er octobre pour le scellement d’un pacte d’amitié.
William Henry Scott parle du 1er octobre 1521 pour l’accord.
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335
Scott, Looking For The Prehispanic Filipino and Other Essays in Philippine History (1992), p.46-47 et note 18 p.62
[9] Navarrete, Historia de Juan Sebastián del Cano (1872), p.68
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335
[10] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.322-323)
Vázquez Campos, Bernal Chacón & Mazón Serrano, Auto de las preguntas que se hicieron a dos Españoles que llegaran a la fortaleza de Malaca, venidos de Timor en compaña de Álvaro Juzarte, capitán de un junco, (Témoignage de Martin de Ayamonte), p.7
[11] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.322)
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335 (citant le chroniqueur Antonio de Herrera y Tordesillas)
[12] Scott, Looking For The Prehispanic Filipino and Other Essays in Philippine History (1992), p.46-47 et note 18 p.62 (citant Mauricio Obregon, La primera Vuelta al Mundo (1984), p. 300)
Scott, Barangay Sixteenth Century Philippine Culture And Society (1994), p.192
William Henry Scott ajoute que, selon le chroniqueur espagnol Rodrigo Aganduru Moriz, ledit esclave était originaire de Makassar (Indonésie), information qu’il tenait d’un témoin oculaire dont le récit est aujourd’hui perdu. Cependant, Aganduru Moriz n’est arrivé à Manille, aux Philippines, que le 12 mai 1606, soit 85 ans après les faits ; cet élément est donc sujet à caution.
[13] Si Pastells (1842-1932) est clair au sujet du doigt dans la bouche, Navarrete (1820-1866) dit juste qu’ils « portent le doigt à leur bouche », ce qui pourrait signifier qu’ils le posent contre les lèvres. Le jésuite ayant vécu aux Philippines et étudié la culture locale, il semble plus judicieux de le suivre.
Navarrete, Historia de Juan Sebastián del Cano (1872), p.68
Pastells, El descubrimiento del estrecho de Magallanes : en conmemoración del IV centenario (1920), p.108
[14] Doblado, The Palawan Landfall of the Magellan-Elcano Voyage in the Philippines (2019) – via Palawan News (26.07.2020)
[15] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.323)
[16] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.323)
[17] Navarrete, Historia de Juan Sebastián del Cano (1872), p.68
[18] Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.335
[19] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.99 ; Charton p.323)
[20] National Quincentennial Committee : Carte interactive