Insoumission de Mactan

 

Vendredi 26 avril 1521
Cebu (Philippines)

Suite à l’incendie du village de Bulaya, qui refusait de se soumettre à Humabon, Magellan exige un tribut de la part des habitants de l’île de Mactan.

 

Deux versions très différentes existent concernant la manière dont cet « impôt » va être acquitté.

Antonio Pigafetta raconte que le fils du datu Zula se présente à la cour d’Humabon avec de bien maigres présents : seulement deux chèvres. Son père ne peut donner plus de peur de s’attirer les foudres du datu Lapulapu, [1] qui règne sur l’île. Mais si Magellan consent à lui fournir une chaloupe et des hommes armés, il promet de renverser le chef rebelle et de se mettre au service de l’Espagne. [2]
Dans le récit du pilote génois (Leone Pancaldo ou Giovanni Battista da Ponzoroni), Magellan exige de Mactan trois chèvres, trois porcs, trois mesures de riz et trois de miel. Lapulapu lui fait répondre qu’il ne fournira que deux de chaque ; soit Magellan s’en contente et les denrées lui seront envoyées, soit il refuse il ne recevra rien. [3]

 

Dans les deux cas, l’issue est la même : Lapulapu refuse de céder aux exigences des Européens. Chose que Magellan ne peut tolérer. Il décide alors de mener lui-même une opération punitive sur Mactan.

João Serrao et Duarte Barbosa, des soutiens fidèles du navigateur portugais, tentent de l’en dissuader : l’armada a déjà perdu beaucoup d’hommes depuis le début du voyage, et un échec pourrait mettre en péril l’expédition. [4]
L’historien belge Jean Denucé rappelle ici que les expéditions portugaises (au contraire des espagnoles) partaient avec des instructions précises sur ce point : le commandant avait interdiction formelle d’aller à terre en présence de populations inconnues, à moins d’une nécessité absolue ou bien lorsque cela ne présentait pas de danger manifeste. Une disposition que ne pouvait ignorer Fernão de Magalhães, qui avait servi au sein de la marine du Portugal lors de voyages vers les Indes.

Le raja Humabon conseille également de ne rien tenter, que la faute ne justifie pas de telles représailles. De surcroît, le souverain cebuano pense pouvoir le faire revenir à la raison car Lapulapu est marié avec sa sœur. [5]

Et tous sont d’accord sur un point : quoi qu’il décide, le capitán general ne doit pas mener l’assaut, car ce serait mettre sa propre personne inutilement en danger.

Mais Fernão de Magalhães est déterminé et personne ne le fera changer d’avis. D’après ses dires, « un bon pasteur n’abandonne pas son troupeau ». [6]
Face à cette entêtement, Humabon propose de réunir le plus d’hommes possible et de lui-même conduire l’assaut, avec ses troupes. Car bien que Lapulapu soit son beau-frère, l’amitié qu’il porte au Portugais surpasse le lien de parenté.
Là encore, Magellan refuse : il tient à montrer aux indigènes comment se battent les Espagnols.

(Ginés de Mafra note que, par ce geste, le capitán general perd alors de son prestige et de son autorité, car ce coup de force apparaît à tous comme inutile. De plus, il estime qu’il y a bien peu à retirer d’une victoire, mais beaucoup à perdre d’une défaite.
Il est cependant difficile de savoir si le marin a été visionnaire, ou s’il a rédigé ces mots a posteriori, quand les faits lui ont donné raison).

 

Ainsi, vers minuit, trois chaloupes chargées d’une soixantaine d’hommes se dirigent vers l’île de Mactan. [7]
Et bien qu’il ait expressément refusé toute aide, Humabon et deux mille guerriers cebuanos, montés sur plus d’une vingtaine de balangays, les accompagnent « pour assister au combat ». [8]

 

Pour l’historien philippin Teodoro Andal Agoncillo, ce sont Humabon et Zula qui suggèrent à Magellan de se rendre à Mactan pour faire plier Lapulapu. Le Portugais y aurait vu une occasion de resserrer ses liens avec le Cebuano. [9]

 

Incendie d’un village   |   L’Assaut sur Mactan  >

 

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________

[1] Il s’agit de l’orthographe officielle établie par le National Quincentennial Committee (NQC) des Philippines.
On trouve également la graphie « Lapu-Lapu » (acceptée). Le nom « Silapulapu / Cilapulapu », héritée du récit de Pigafetta, est erroné car le « si » constitue une distinction honorifique locale.

[2] Selon l’historien belge Jean Denucé, c’est Lapulapu lui-même qui aurait envoyé Zula en personne, son homme de confiance, pour raconter cette histoire afin d’attirer les Européens sur Mactan.
Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.76 ; Charton p.311)
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.315

[3] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.12

[4] Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.316
Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.501-502

[5] Ginés de Mafra, Libro que trata del descubrimiento del Estrecho de Magallanes (1542), p.200-201

[6] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.76 ; Charton p.311)

[7] Pigafetta parle de 60 hommes ; le pilote génois de 50 à 60 ; Mafra de 40 répartis dans deux embarcations.
Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.76 ; Charton p.311)
Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.12
Ginés de Mafra, Libro que trata del descubrimiento del Estrecho de Magallanes (1542), p.201
Denucé, Magellan. La question des Moluques et la première circumnavigation du globe (1911), p.315
Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernao de Magalhaes, sa vie et son voyage (1939), p.501

[8] Ginés de Mafra, Libro que trata del descubrimiento del Estrecho de Magallanes (1542), p.201 : « y estos solo para ver la pelea ».

[9] Via Wikipedia (EN) :
– Agoncillo, Introduction to Filipino History (2006)

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