Entrée dans le Pacifique

 

Fin novembre 1520
Détroit de Magellan (Chili)

L’armada repart en direction du nord-ouest. Après avoir contournée l’île Carlos III (Isla Carlos III) (sans doute par le nord, où le passage est suffisamment large), elle pénètre dans la partie la plus étroite du détroit.
Une sorte de long canal s’étire en effet sur approximativement 75 km (~40 NM), enchaînant le paso Tortuoso et le paso Largo. La majeure partie de ce goulet se trouve coincé entre l’île Santa Inés (isla Santa Inés) au sud, et la péninsule Cordoba, extrémité de l’île Riesco (isla Riesco), au nord. Ginés de Mafra indique que l’endroit fait au maximum 3 à 3,5 lieues de large (~20 km, 10 NM), [1] mais en certains endroits, il y a à peine 3 km (1 NM) entre les deux rives. Ceci peut paraître très suffisant pour naviguer, mais il convient de rappeler qu’autour des navires s’élèvent des montagnes couvertes de forêts, et parfois enneigées. Le plafond nuageux est souvent bas. Les eaux sombres présentent une profondeur inégale, qui les conduit à longer plutôt la côte nord. De fait, les marins doivent avoir l’impression de progresser au sein d’une immense gorge, les lieux leur paraissant plus étroits qu’ils ne sont en réalité.

 

Ils débouchent dans le paso del Mar, avec la longue île Désolation (isla Desolación). C’est vraisemblablement sur cette île que le groupe d’exploration (composé de Roldán de Argote, Hernando de Bustamante et Ocacio Alfonso) a débarqué et aperçu l’embouchure.
Comme le confirme le Routier du pilote génois, ils naviguent dans la partie nord, plus profonde, [2] et quittent réellement le détroit au niveau du cap Victoria. [3]

Le journaliste et écrivain français Édouard Charton mentionne ce « cap Victoire » sans préciser où il se trouve, indiquant juste qu’il porte le nom du premier navire à l’avoir doublé. Néanmoins, il existe une île Victoria (isla Victoria), située juste à l’ouest de l’île Pacheco (isla Pacheco), dans l’Archipel de la Reine Adélaïde. [4] Celle-ci peut effectivement être considérée comme l’extrémité nord du détroit et c’est sans doute à cela que l’auteur fait référence.

Francisco Albo parle également de deux cap, le cabo Deseado et le cabo Hermoso, mais qu’il situe tous deux « sur la gauche » (a la mano izquierda), donc à la pointe de l’île Desolación.
En effet, l’extrémité de l’île forme une sorte de double pointe en direction du nord-ouest. La plus à l’ouest est le fameux cabo Deseado (cap Désiré). La plus à l’est est vraisemblablement le cabo Hermoso (cap Magnifique), aujourd’hui connu sous le nom de cap Pillar (cabo Pilar).

 

L’embouchure occidentale du détroit, longue mais peu large et contenant beaucoup d’îles, ne présente aucun signe distinct, si bien que, à trois lieues (~20 km, 10 NM) de distance en mer, Ginés de Mafra précise qu’elle n’est pas clairement repérable.

Le phare Evangelistas [5] a d’ailleurs été installé en 1896 sur l’îlot Grande, dans l’archipel des îlots Evangelistas (islotes Evangelistas), à ~40 km (~22 NM) au nord-ouest du cap Pillar. [6] Il s’agit d’une zone de navigation dangereuse avec des bancs de sable et des rochers affleurants. Ce phare se situe en amont de l’entrée, et plus ou moins au milieu suivant un axe nord-ouest/sud-est.

Deux autres phares permettent aujourd’hui de repérer l’entrée : le phare des îlots Fairway (1920), qui indique la zone septentrionale (à gauche en entrant), et le phare Bahía Félix ou San Félix (1907)  qui indique la zone méridionale (à droite en entrant).

Chili - Détroit Magellan - Secteur Occidental
Carte du secteur occidental du Détroit de Magellan

 

La date exacte à laquelle ils débouchent dans le Pacifique diffère suivant les sources d’époque :
– le Routier du pilote génois (attribué à Leone Pancaldo ou Giovanni Battista da Ponzoroni) parle du lundi 26 novembre 1520 [7]
– le journal du Portugais anonyme, compagnon de Duarte Barbosa (probablement Vasco Gómez Gallego) indique le mardi 27 novembre 1520 [8]
– Antonio Pigafetta mentionne lui le mercredi 28 novembre 1520 [9]
Il est possible que toutes ces dates soient justes. En effet, la configuration très particulière de l’embouchure occidentale du détroit laisse un peu à la libre interprétation le moment exact où l’observateur estime avoir dépassé la sortie. [10] (Cf. carte)
Le journal d’Albo n’est d’aucune utilité dans ce cas précis, car le marin grec ne recommence à noter la position des navires qu’à compter du 1er décembre (il ne l’a fait qu’avec parcimonie dans le détroit)

 

Alors qu’ils pénètrent dans l’océan Pacifique, Antonio Pigafetta décrit pour la première fois des poissons volants ou exocets, qu’il nomme « colondrins ». L’équipage en a semble-t-il pêché, puisqu’il en précise les qualités nutritives. [11]

 

Durant les trois semaines suivantes, la flotte va remonter le long de la côte chilienne. Même si aucun journal n’indique la raison, il est tout à fait vraisemblable qu’avant de partir à l’assaut du Pacifique, Magellan ait souhaité revenir sous des latitudes plus clémentes. L’embouchure occidentale du détroit se situe en effet par 52° S (à la même latitude que l’embouchure orientale), soit dans les Cinquantièmes Hurlants. Et ils vont naviguer ainsi vers le nord jusque mi-décembre, et ne partir définitivement vers l’ouest qu’après être sortis des Quarantièmes Rugissants.

 

 

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________

[1] Pour rappel, la legua nautica de l’époque valait 5 903 mètres ou 3,1876 milles marins d’aujourd’hui.
Ginés de Mafra, Libro que trata del descubrimiento del Estrecho de Magallanes (1542), p.195

[2] Le Routier indique qu’ils croisent deux îles vers l’embouchure, une grande puis une petite, plus proche de la sortie. Sans plus d’éléments, il est impossible de savoir à quoi il est fait référence.
Sir Stanley, The First Voyage Round the World : The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874), p.86

[3] Charton, Voyageurs anciens et modernes – T.3 : Voyageurs modernes, quinzième siècle et commencement du seizième – Fernand de Magellan, voyageur portugais (1863), p.290 note 1

[4] Cette île Victoria, située par 52° 27’ S, ne doit pas être confondue avec l’autre île du même nom située dans l’archipel des Chonos, plus au nord sur le territoire chilien (45° 18’ S).

[5] Parfois aussi nommé « phare Pacheco », du nom de l’île la plus proche.

[6] L’un de ces îlots se nomme « Elcano » (en hommage à Juan Sebastián Elcano).

[7] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World – The Genoese Pilot’s Account of Magellan’s Voyage (1874)

[8] Sir Stanley of Alderley, The First Voyage Round the World, by Magellan – Narrative of the Anonymous Portuguese (1874)

[9] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.35 ; Charton p.291)

[10] Ginés de Mafra parle même lui de fin décembre, ce qui correspond en réalité plus ou moins au moment où la flotte a perdu la terre de vue. (À noter que le texte parle d’une sortie en « décembre 1521 », ce qui constitue manifestement une erreur. Il n’est cependant pas possible de savoir si elle est imputable au marin lui-même ou à ceux qui ont recopié ses écrits par la suite).
Mafra, Libro que trata del descubrimiento del Estrecho de Magallanes (1542), p. 195 : « Salió el armada del estrecho a la mar del sur en fin del mes de Diciembre del año mili y quinientos y veinte y uno ».

[11] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.33-34 ; Charton p.290)

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