La mutinerie de Pâques : L’Enquête

 

Jeudi 19 avril 1520
Puerto San Julián (Argentine)

Le 15 avril 1520, après la messe dominicale, Álvaro de Mezquita demande à Fernão de Magalhães d’instruire une enquête concernant la mutinerie. Ce dernier l’ordonne deux jours plus tard, le mardi 17 avril 1520, mais elle ne débute réellement que le 19 avril. [1]

L’enquête est diligentée par trois hommes :
Martín Méndez, notaire de la Victoria
Sancho de Heredia, notaire de la Concepción
Gonzalo Gómez de Espinosa, alguazil (prévôt) de la flotte, Trinidad

 

Durant huit jours (soit jusqu’au jeudi 26 avril 1520), ceux-ci vont recueillir les témoignages de différents marins (y compris celui de Mezquita) afin de comprendre comment s’est déroulée la prise du San Antonio. Les marins auditionnés sont, dans l’ordre :
Pedro de Valderrama, aumônier de la Trinidad
Jerónimo Guerra, notaire du San Antonio, puis trésorier de l’armada
Juan Rodríguez de Mafra, pilote du San Antonio
Francisco Rodríguez González de Huelva, marin du San Antonio
Diego Hernández, maître d’équipage du San Antonio
Juan Ortíz de Gopegui, cambusier du San Antonio
Juan de Elorriaga, maître de bord du San Antonio

Si les témoignages convergent, et semblent fiables, plusieurs choses peuvent surprendre.
Le point essentiel est qu’aucun des mutins n’est auditionné et ne peut donner sa version des faits. Et c’est ce qui sera plus tard reproché à Magellan.
Ensuite, il n’est mentionné nulle part la raison de la présence de Valderrama sur le San Antonio, qui de surcroît possédait son propre aumônier en la personne de Bernat Calmeta. [2]
Guerra est lui un parent et serviteur de Cristóbal de Haro, un riche armateur flamand qui a contribué au financement de l’expédition à la demande de Magellan ; l’homme aurait donc toutes les raisons de donner une mauvaise image de ceux qui voulaient mettre un terme au voyage.
Enfin, Elorriaga et Hernández ont été des victimes de la mutinerie, le premier grièvement blessé, le second emprisonné ; ils n’auraient aucune raison de faire de cadeau à leurs ennemis.
L’ensemble, bien qu’instructif sur les évènements, demeure sujet à caution. [3]

 

Élément notable : Gonzalo Gómez de Espinosa, bien qu’officier de haut rang (alguacil mayor, soit le prévôt de la flotte), ne savait pas écrire. C’est donc Domingo de Urrutia, un marin de la Trinidad, qui signa à sa place le document. [4]
On ignore cependant pourquoi c’est précisément Urrutia, et pas un autre, qui parapha pour Espinosa.
Il est notamment cité par Cristóbal Bernal comme « marinero y escribano » [5] ce qui pourrait être une explication, même si aucune autre source ne précise cela. Sauf que le navire amiral possédait un escribano « officiel » en la personne de Leon de Ezpeleta, qui aurait légitimement pu parapher le document.
Une hypothèse est qu’une signature d’Ezpeleta aurait pu rendre le document caduque. Il se trouve que la demande d’enquête officielle était déjà cosignée par Magalhães et Ezpeleta, en tant que notaire du vaisseau amiral. [6] Ainsi, en signant à la place d’Espinosa, Ezpeleta aurait pu être considéré comme juge et partie (ou, pour reprendre une terminologie actuelle, en conflit d’intérêt). Dès lors, Espinosa se serait tourné vers le seul autre marin de son navire qui sache écrire : Urrutia.

 

Cette enquête sera produite par Álvaro de Mezquita le 22 mai 1521 à Séville pour se disculper des accusations de traîtrise et pouvoir sortir de prison. [7]
En effet, après que le San Antonio eut déserté, il rentra directement en Espagne où plusieurs marins furent placés en détention, dont Mezquita. Les renégats dressèrent un portrait terrible de Magellan pour justifier leur fuite et la mise aux fers de Mezquita. Ce dernier dut à son tour prouver que les actes du capitán general (son oncle) étaient légitimes.

 

 

La mutinerie de Pâques : procès et sanctions  |  Exploration du Río Santa Cruz  >

 

<  Retour au Journal de Bord

 

_________

[1] Bernal, Sucesos desafortunados de la Expedición (2015), p.11-12
La majorité des éléments en rapport avec ladite enquête est issue de ce document d’époque (retranscrit en 2015).

[2] Pedro Sánchez Reina, référencé comme ecclésiastique (clérigo), était également présent à bord du San Antonio, mais son rôle exact au sein de la flotte n’est pas clair.

[3] (NdA) C’est en autre sur la base de ces témoignages que j’ai retracé les évènements dans les billets précédents. Il m’apparaît donc inutile de reparler ici du contenu de ces témoignages.

[4] Bernal, Sucesos desafortunados de la Expedición (2015), p.18 :
« (…) y porque el dicho alguacil no sabía escribir, rogó el dicho alguacil a Domingo de Urrutia que lo firmase por él, Domingo de Urrutia. ».

[5] Bernal, Declaración de las personas fallecidas en el viaje al Maluco (2014), #97

[6] Bernal, Sucesos desafortunados de la Expedición (2015), p.12 :
« y firmado de su nombre, el señor capitán general y León de Ezpeleta, escribano de la [nao] capitana ».

[7] Bernal, Sucesos desafortunados de la Expedición (2015), p.9-10

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s