Mercredi 10 août 1519
Port de Las Muelas, Séville, Andalousie, Espagne
Après avoir prié à l’église Santa María de la Victoria, les équipages embarquent et la flotte quitte le port de Las Muelas. Bien que des tirs au canon [1] saluent ce départ, il ne s’agit alors que de se rendre à Sanlúcar de Barrameda, situé dans l’estuaire du Guadalquivir [2], pour y avitailler.
Avant de partir, Magellan a prêté serment dans cette même église, et reçu la bannière royale des mains du corregidor Sancho Martínez de Leyva. [3]
La navigation sur le fleuve est complexe et nécessite la présence de pilotes locaux pour aider les barreurs. Outre la faible profondeur, on note le passage d’un pont en ruines, dont seules deux colonnes dépassent encore de l’eau, entre lesquelles il convient de passer. Cet obstacle se trouve près de San Juan de Aznalfarache. [4]
Antonio Pigafetta signale comme particularité que cette ville compte de nombreux Maures. La Reconquista s’est achevée vingt-sept ans plus tôt, avec la prise de Grenade le 2 janvier 1492. Ceci tendrait à prouver que tous les Maures n’ont pas été chassés, mais que certains sont restés vivre sur place.
Juste après s’effectue un passage devant la ville de Coria del Río, [5] que Pigafetta mentionne sans plus de précision.
Les navires arrivent finalement au port de Sanlúcar, surplombé par le palais des ducs de Medina Sidonia (Palacio de los duques de Medina Sidonia). Non loin se trouve une forteresse, également construit par les Medina Sidonia, le Château de Santiago (Castillo de Santiago). C’est probablement à ce dernier que fait référence Pigafetta. [6]

Magellan et les capitaines des navires ne sont pas du convoyage mais arrivent quelques jours plus tard. [7] Ils sont trois Espagnols et un Portugais.
Juan de Cartagena est le veedor (inspecteur général) de l’expédition. Bien qu’inexpérimenté en matière de navigation, ses relations lui ont permis d’accéder à cette fonction. En charge de la supervision des comptes et des échanges commerciaux, il rend compte directement au roi. Magellan, en fin diplomate, lui a laissé le commandement du plus gros navire de la flotte, le San Antonio.
Luis de Mendoza, le tesorero (trésorier), et Gaspar de Quesada ont été respectivement affectés à la Victoria et à la Concepción.
Enfin, le plus petit navire, le Santiago, est dirigé par João Rodrigues Serrão, qui fera également fonction de pilote. C’est un marin expérimenté, qui a déjà navigué avec Vasco de Gama, Francisco de Almeida mais aussi Magellan lui-même, qui pourra compter sur son soutien.
Les navires sont des caraques [8], à l’exception du Santiago qui est une caravelle. Tous sont d’occasion et ont été achetés à Cadix par Juan de Aranda, facteur de la chambre de commerce. [9] En mauvais état, il a fallu près de cinq mois pour les réparer en les mettant à sec au port de Las Muelas.
Juan Sebastián Elcano a vraisemblablement participé avec zèle aux différents préparatifs : maître de bord, son expérience lui aurait permis de se faire accepter par les marins et de voir la plupart de ses demandes satisfaites. [10] De plus, il semble qu’il jouissait d’une certaine reconnaissance à Séville.
L’avitaillement effectué à Sanlúcar est globalement prévu pour deux ans de navigation et semble énorme pour une telle flotte [11] :
– Biscuit du marin : 21 380 livres (~ 9,835 t) [12] (suivant les conditions, il peut se conserver 2 ans)
– Farine
– Haricots
– Lentilles
– Riz
– Légumes secs
– Porc salé : 5 700 livres (~ 2,622 t)
– Sardines : 200 tonneaux
– Fromages : 984 unités
– Ail & Oignons : 450 cordons
– Miel : 1 512 livres (~ 696 kg)
– Raisins secs & Amandes : 3 200 livres (~ 1,472 t)
– Sucre, Vinaigre, Moutarde
– Vaches vivantes : 7 ; Cochons vivants : 3
– Vin de Xérès : 417 outres et 253 tonneaux (soit 2 rations/jour/homme pendant 2 ans)
Les biscuits et le vin constituaient la grande majorité des vivres.
Les capitaines disposaient également d’une pâte de coing (dulce de membrillo), qui aidait à lutter contre le scorbut.
Pour le matériel, tout est emmené en double, voire en triple : ancres, cordages, bois, fer, plomb, troncs d’arbres (pour les mâts), toile (pour les voiles), et instruments de navigation.
– Charretées de bois : 40
– Tonneaux de goudrons et de poix
– Cire et étoupe (fibre de chanvre) pour boucher les fissures
– Tenailles, scies, forets, vis, marteaux, clous, pelles, pioches
– Hameçons (plusieurs milliers), harpons (plusieurs dizaines), filets de pêche
– Petites lanternes : 89 ; Chandelles : 400 livres (~ 184 kg) ; Cierges de messe
– Grands livres pour les comptables : 15 [13]
– Pharmacopée, instruments de chirurgie
– Chaînes et menottes (pour les marins récalcitrants)
– Tambours : 5 ; Tambourins : 20 ; Violons, flûtes et fifres (pour que l’équipage puisse se distraire)
La flotte emporte également tout un tas de babioles en vue de faire du troc avec les populations autochtones. Ce sont des objets de faible valeur aux yeux des Européens, qu’ils échangent contre des choses de plus grande valeur comme les épices, l’or ou l’argent. Ils s’imaginent faire une excellente affaire, mais il est probable que les indigènes pensent de même à leur encontre : un miroir par exemple est plus intéressant pour eux que du poivre ou des clous de girofles, dont ils disposent à foison.
– Cloches et clochettes : 20 000
– Petits miroirs : 900 ; Grands miroirs : 10
– Couteaux d’Allemagne : 4 800
– Ciseaux : 600
– Mouchoirs de couleur, calottes rouges, bracelets de cuivres, peignes
– Velours, draps
– Fausses pierres, verroterie
– Habits turcs (afin que les chefs puissent parader devant leurs sujets dans de beaux atours)
Si l’objectif est de commercer pacifiquement, la flotte n’hésitera pas à user de la force pour mettre les populations au pas. Ainsi, elle embarque tout un arsenal (qui pourra également lui servir à se défendre si elle croisait la route des Portugais) :
– Canons : 58
– Falconettes longues [14] : 7
– Mortiers lourds : 3
– Boulets de fer et de pierre
– Plomb : plusieurs tonnes (pour fondre des boulets)
– Lances : 1 000 ; Piques : 200 ; Boucliers : 200 (la moitié des hommes environ est équipée d’un casque et d’une cuirasse)
Magellan possède également deux armures complètes, en provenance de Bilbao, dont le but principal est d’impressionner les indigènes, et de le faire apparaître comme invincible.
La flotte va demeurer plus d’un mois à Sanlúcar de Barrameda, puisqu’elle n’appareillera définitivement que le mardi 20 septembre 1519.
| Départ de Sanlúcar de Barrameda >
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[1] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.12 ; Peillard p.99)
[2] À cette époque, on commence à appeler la rivière Betis par le nom Guadalquivir, corruption de l’arabe Oued-El-Kébir (« Grand Ru », Peillard p.307, note 15) ou Al-wādi al-kabīr (« Grande Vallée » ou « Grand Fleuve », Wikipedia)
[3] Zweig, Magellan, p.115
Peillard, Magellan / Antonio Pigafetta, p.92
Aussi orthographié Sancho Martínez de Leiva. Les corrégidors sont des fonctionnaires, représentants du pouvoir royal au sein des villes et des villages.
[4] Cette commune de la province d’Andalousie est citée sous divers nom : Juan de Alfarache (Pigafetta), Gioan de Farax (Peillard p.99), Farax (Charton p.274), Jean d’Alfarax, Jean d’Alfarache, Aznalfarache…
La page Wikipedia française étant très peu fournie, je recommande plutôt, pour ceux qui le peuvent, de consulter la page espagnole.
[5] Je recommande là aussi la page espagnole plutôt que française.
[6] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.12 ; Peillard p.99)
Un autre château, le château de Santiago, situé juste à côté, fut également construit par les Medina Sidonia.
[7] Pigafetta, Primer viaje alrededor del Globo (Civiliter p.12 ; Peillard p.100)
[8] Elles sont souvent citées sous le nom de « nao », le terme espagnol (plus rarement « carraca »)
[9] Queirós Veloso, Revue d’histoire moderne : Fernão de Magalhaes, sa vie et son voyage, p.446
Charton, Voyageurs anciens et modernes : Fernand de Magellan, voyageur portugais, p.269
[10] Navarrete, Historia de Juan Sebastian del Cano, p.31-32
[11] Zweig, Magellan, p.118-122
[12] La livre espagnole faisait 460,093 grammes (cf. Wikipedia (es))
[13] À cette époque, il était impossible de trouver du papier dans quelque endroit que ce soit en dehors de la Chine (et de l’Europe bien évidemment).
[14] Difficile à identifier, il pourrait s’agir d’un fauconneau, dont le nom serait ici une corruption du terme anglophone falconet.